Sortir de la prison de la culpabilité toxique
Article par Ginette Plante et Sylvie Moisan
Il existe deux types de culpabilité : la culpabilité saine et la culpabilité malsaine, ou culpabilité toxique. Décrivons ces états affectifs et posons des pistes pour aider les membres de notre clientèle à se libérer de la culpabilité toxique.
La culpabilité saine
Sophie a rendez-vous avec Anne à 12 h pour déjeuner. Puisqu’elle ne dispose que de peu de temps ce midi-là, Sophie a averti Anne qu’il était important qu’elle soit à l’heure. À 12 h 25, Anne n’était toujours pas arrivée au restaurant où les deux femmes avaient rendez-vous. Impatiente, déçue, fâchée, Sophie quitte le restaurant et retourne au bureau après avoir acheté un sandwich au café du coin. Quand Anne l’appelle enfin, lui racontant la mésaventure du jour, Sophie s’emporte et déballe une série d’insultes à son amie, puis raccroche. Quelques minutes plus tard, Sophie reçoit un nouveau coup de fil : encore Anne, qui laisse un message dans sa boîte vocale. Elle est triste, atterrée, blessée; elle ne comprend pas la réaction de Sophie. Une vague de chagrin et de remords envahit Sophie. Elle se sent coupable : sa copine ne méritait pas du tout tout ce qu’elle lui a dit.
On comprend donc ici que la culpabilité saine repose sur le fait que l’individu a fait un geste en désaccord avec son code de valeurs et était délibéré (Sophie avait le choix de faire ce qu’elle a fait ou d’éviter de déverser inutilement ses états affectifs du moment sur sa copine). Lorsque l’on contrevient à ses principes, à son code de valeurs personnel, cela crée un déséquilibre en nous. Sophie a été infidèle à elle-même alors qu’elle avait tout à fait le choix de l’être, d’agir en se jaugeant et en respectant son amie.
La culpabilité saine a son utilité, sa fonction, car elle rappelle une personne à ses principes. De plus, nous le verrons plus bas, elle favorise la réconciliation ainsi que le pardon : en général, ce qui calme une culpabilité dite saine, c’est de s’excuser avec sincérité.
Après avoir écouté le message vocal d’Anne, Sophie se doit de la rappeler, car elle regrette affreusement d’avoir blessé sa tendre amie. « Je m’excuse de t’avoir blessée. J’ai perdu le contrôle. » Après avoir transmis ses sincères excuses à Anne, Sophie se sent beaucoup mieux. Elle fixe un nouveau rendez-vous à Anne, puis retourne au travail la tête tranquille.
Par ailleurs, de manière générale, on ne s’attarde pas à la culpabilité saine : elle ne dure que quelques minutes, elle est passagère. Celle-ci ne nuit pas à notre fonctionnement normal – c’est un signal, comme une alarme de sécurité. La culpabilité ayant fait son travail, puis les gestes nécessaires ayant été faits pour rétablir son équilibre intérieur, tout revient à la normale en nous.
La culpabilité toxique
Julie vit dans l’insécurité, dans le manque de confiance en elle-même depuis l’enfance. Ayant subi les colères d’un père dur, exigeant, qui lui mettait toujours tout sur le dos (trop souvent à tort), elle a développé un sentiment de culpabilité malsaine permanent. Encore aujourd’hui, adulte, Julie se rend responsable de toute situation fâcheuse, de tout problème au bureau, de tout conflit à la maison… même lorsqu’elle n’a aucune responsabilité dans la situation.
Une culpabilité malsaine entraîne chez un individu de se sentir toujours coupable de tout et de rien. Elle repose sur des raisons, des motifs qui, au fond, n’en sont pas. Cette culpabilité toxique est en fait une création de son imaginaire.
Prison et fardeau
C’est lorsque l’on est prisonnier de sa culpabilité, lorsqu’elle n’est plus un signal, mais un état affectif ancré, que l’on peut parler de culpabilité malsaine. La personne s’estime fautive à tort; elle éprouve des culpabilités surdimensionnées par rapport aux situations vécues. Et même, parfois, elle se sent coupable d’un fait, alors qu’elle n’est aucunement associée à l’évènement. Le sentiment ressenti est injustifié. Il peut se transformer en mal de vivre. Ultimement, inconsciemment, on se dit : Je ne mérite pas de vivre, d’exister, car je suis fautif.
Les principaux effets de la culpabilité malsaine sont les suivants : peur, sentiment de solitude, dépression. Cette forme de culpabilité est lourde à porter. Elle est dévastatrice. Sous la torture d’un sentiment de culpabilité permanent, l’individu peut s’écrouler, sombrer dans le désespoir.
Culpabilité et manque d’initiative
Un sentiment de culpabilité toxique entraîne habituellement un manque d’initiative. Car on l’associe à l’échec, elle s’associe fréquemment à la peur d’échouer. On l’oppose donc à la proactivité, à l’initiative, la personne luttant de façon permanente avec le sentiment. Elle amène la passivité, l’impuissance. On peut même devenir fataliste – tout est perdu d’avance, j’échouerai. Mon échec me rendra coupable, alimentera ma culpabilité. Rien ne s’est encore produit, mais elle perçoit ses gestes projetés comme opposés à ce qui devrait être, à ce qui est correct.
La culpabilité comme masque
On peut aussi parler de culpabilité-masque lorsque sa culpabilité sert à masquer, à cacher ses désirs réels, à déguiser son refus de prendre sur soi ses propres sentiments ou choix. La culpabilité cache autre chose : on refuse d’assumer ses décisions, désirs et actions. Encore ici, il peut y avoir passivité, inaction sous prétexte de ressentir de la culpabilité. Ce type de culpabilité sert aussi à désamorcer la réaction d’autrui par la manipulation. Dire Je me sens coupable… peut en effet être une manière de manipuler l’autre de manière à diminuer les conséquences de gestes que l’on fait, que l’on a faits.
Comment se libère-t-on de la culpabilité toxique?
Il faut d’abord avoir conscience de son problème relié à la gestion des états affectifs, reconnaître que le sentiment de culpabilité malsaine occupe trop de place dans sa vie. Ensuite, on doit l’accepter – c’est le plus grand cadeau que l’on puisse se faire. Lutter ne mènera à rien ici.
Identifier la source de sa culpabilité toxique peut favoriser une libération plus rapide. Parents injustes, éducation sévère, perfectionnisme, traumatisme? Les sources peuvent être nombreuses. Pour les perfectionnistes, admettre que l’impuissance, que l’imperfection appartiennent à notre nature, ce peut être le commencement de l’affranchissement, le point de départ vers un développement personnel véritable.
Puis, il faut surmonter les croyances et les programmations qui sont à l’origine de la culpabilité toxique. Il faut changer ses conceptions, se libérer de ses chaînes intérieures. Dans cette démarche de libération, il sera important d’apprendre à s’assumer (choix reflétant le respect de soi; de ses besoins, de ses limites, etc.), à prendre uniquement la responsabilité de son propre vécu et à suspendre le verbiage autodévalorisant.
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Parution de cet article : 2013
Plus récente mise à jour : 2024